
Il signe ses emails « l’homme qui a passé le plus de temps quotidiennement avec l’ours noir en liberté au Canada ». Sa voiture est immatriculée en hommage à l’ours noir. Dans son auberge, même les taies d’oreiller représentent un ours. Sur les rives de la rivière Saint-Maurice, au Québec, Éric Allard a dédié sa vie à l’ours noir. Chaque soir en saison, il emmène ses visiteurs jusqu’à l’affût qu’il a créé en bordure du beau parc national de la Mauricie pour observer des spécimens d’Ursus americanus en liberté.
La technique d’approche a été affinée au fil des années. Un chemin d’accès en gros gravier sonore pour éviter que des plantigrades de passage soient surpris – ils seraient quand même plus d’une centaine en liberté dans les forêts du parc –, une cabane aménagée à l’opposé des vents dominants – leur odorat est infaillible – et quelques œufs de poule en guise d’appât.
À la tombée du jour, ils sont bien là, tout proches. À les observer, on comprend la fascination et les sentiments contradictoires qu’ils suscitent. Dans ses documents de prévention, Parcs Canada dit à la fois qu’ils « préfèrent éviter les humains » mais qu’on risque de les rencontrer « n’importe où », qu’ils ont peur de l’homme mais peuvent facilement nous mettre en pièces… L’animal, en bref, est difficile à cerner. Massif, puissant, avec des manières frustres, il devient délicat quand il lèche les branches pour se régaler de fourmis, gracieusement dressé sur une patte. Guidé par la voix douce d’Éric, on comprend alors par quelle alchimie ce fauve est aussi devenu le compagnon des enfants.
Et tandis qu’il arrache de ses longues griffes l’écorce d’un arbre et pousse des grognements de mauvaise augure dès qu’un congénère s’approche un peu trop près, on repense à Winnie l’ourson, ce livre pour enfants qui raconte comment un ours devient la mascotte d’un régiment canadien pendant la Première Guerre mondiale, avant de finir sa vie au zoo de Londres. On en a profité pour le relire. Et découvrir que Winnie the Pooh est fondé sur une histoire vraie, et que Winnie l’ourson… était une oursonne.
Les ours(es) sont décidément pleins de surprise.
(PS : À lire aussi : L’Ours qui a vu l’homme, récits de rencontres avec les ursidés sous la plume de l’excellent Charlie Buffet !)