Une histoire de Q (et autres consonnes)

Panneau La plantade © Olivier Cirendini

Montcuq n’est pas seulement une localité de 1 800 âmes dont le nom a fait se gondoler de rire des milliers de visiteurs de passage. C’est aussi et surtout un joli village du Quercy blanc, avec place bordée de platanes et ruelles pavées, en même temps que l’illustration d’une vérité socio-géographique : dans ce bel hexagone, on aime bien glisser localement une petite incongruité qui permettra à coup sûr de faire la différence entre le gars du coin et celui d’la ville, l’initié du bocage et « l’estranger » d’où qu’il soit.

Car Montcuq, comme il se doit, se prononce MontcuQ, avec un Q final bien senti. C’est fort de cette connaissance du parler régional qu’on arrive à Saint-Cirq-Lapopie, quelques dizaines de kilomètres plus à l’est, réputé à juste titre pour ses demeures de pierre blonde et les vestiges de son fort seigneurial. Et on se ramasse comme un estranger : « On n’est pas au cirque ici », nous fait-on remarquer d’une répartie cinglante après qu’on a prononcé Saint CirQ… Le Q est aussi sonore à Montcuq qu’il est silencieux à Saint-Cirq…

L’Auvergne donne une autre illustration de cet art subtil de débusquer le « pasducoin ». On serait volontiers enclin à ne pas prononcer le S de Maurs-la-Jolie, localité du Cantal longtemps vantée pour ses foires. Eh bien non, il siffle ! À la différence de celui de Salers, de l’autre côté de la ville d’Aurillac, dont on ne présente plus la qualité des viandes bovines mais dont le S final se doit de rester au fond du gosier sous peine d’être rangé derechef dans la catégorie des non-initiés.

C’est comme ça. Après tout, il n’y a que des étrangers, allemands, anglais ou autres visiteurs, pour prononcer le S de Parissss, non ?

Le temps figé

FemmeHimba © Olivier Cirendini

À la sortie du supermarché Spar d’Opuwo, ville poussiéreuse de la région du Kaokoland, au nord de la Namibie, une femme Himba dénude sa poitrine avant de se diriger vers des touristes pour tenter de leur vendre des bijoux de sa fabrication.

J’ai bien vu et je m’étonne. Traditionnellement, les femmes Himba vont seins nus. Mais, quelques minutes plus tôt, dans les travées éclairées aux néons du magasin, je l’avais aperçue vêtue de la traditionnelle jupe en peau, le corps et les cheveux enduits du mélange d’ocre et de graisse qui leur donne un aspect soyeux et velouté… mais avec une étoffe sur le haut du corps. Le tourisme n’aime pas le changement. Certaines femmes Himba, sachant que leur crédit dépend de leur « authenticité », en viennent donc à se conformer à l’image que les visiteurs en quête de dépaysement attendent d’elles.

À Opuwo comme ailleurs sur la planète tourisme, les rites se doivent d’être millénaires et les traditions hors du temps. Sinon, « c’est plus ce que c’était ». L’image « authentique » est une image figée. Un Massaï en Nike, un Aborigène avec des Earpods ou un Inuit en motoneige, allons donc, c’est quand même moins photogénique… Le tourisme, parfois, interdit aux gens de vivre dans leur époque.

See you in Solitaire

Solitaire, Namibie ©Olivier Cirendini

Solitaire est au milieu du centre désertique de la Namiblie. Autant dire au milieu de nulle part. Et pourtant tout le monde semble s’y arrêter. Passage obligé au carrefour des routes entre Windhoek, Walvis Bay, Sossusvlei et le parc national du Namib-Naukluft, cette localité de moins de 100 âmes cultive ses airs de Bagdad café sous le soleil africain.

Son nom on ne peut plus évocateur lui aurait été donné par l’épouse d’un courageux fermier qui s’y est installé en 1948, et nul ne sait si elle faisait référence au bijou ou à une certaine désolation. Des carcasses d’antiques Chevrolet et de tracteurs Ford finissent de rouiller au milieu du désert, dans le bruit de grincement d’une windpump, ces tours en métal flanquées de pâles mollement actionnées par le vent qui sont devenues le symbole des régions désolées.

« Beer is now cheaper than gas. Don’t drive, let’s drink » (la bière est maintenant moins chère que l’essence. Buvons plutôt que conduire), annonce un panneau. Ambiance. Les raisons du succès des lieux auprès des visiteurs ? Une indéniable atmosphère, donc, mais aussi quelques bonnes chambres d’hôtel, un camping, une station-service-épicerie et une boulangerie dont la tarte aux pommes serait « world famous ».

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