Dans son jus (de cuisson)

Le (ou là ?) Covid aurait eu ce mérite, claironnent tous les offices du tourisme de l’hexagone : les Français(es) redécouvrent la France. Cocoricooo ! Le moment est donc venu de vous parler de l’hôtel-restaurant Les Voyageurs, à Lalouvesc (07). Corbeille de pain en inox, carafe en pyrex, vaisselier en formica orange, céramiques au sol avec figures géométriques jaune-brun donnant une impression de relief, serveuse apprentie en tablier blanc un rien dépassée, ballon de rouge, viandes en sauce et plateau de fromages… Tout est ici dans son jus (de cuisson). Jusqu’aux toilettes, où trône au-dessus du lavabo le légendaire porte-savon rotatif et sa boule jaune en forme de citron qui a lavé des millions de mains d’écoliers dans les années 1970 (ou 1950 ? 1960 ? Et d’ailleurs, où trouvent-ils encore les recharges ?).

Au menu à 21 € : vol au vent “sauce financière”, échine de porc “sauce mousserons” avec ses pommes rissolées et son fond d’artichaut “forestière”, plateau de fromage, tarte aux myrtilles du pays (ou île flottante, ou baba au rhum, ou crème caramel…). Le contraste est saisissant avec le bourg voisin, où un restaurant triplement étoilé attire une clientèle internationale se faisant à l’occasion déposer en hélicoptère devant l’établissement. Attablé aux Voyageurs, on ne sait plus trop d’où vient notre satisfaction : parce que c’est bien et pas cher ? Parce que c’est vintage (le pyrex et le formica, reviennent furieusement à la mode) ? Ou bien parce que tout cela renvoie à une forme de nostalgie – dont on se méfie, car dehors, sur la place de la Mairie, sont placardées pour cause d’élections les affiches de partis se revendiquant de la “vraie France authentique et intemporelle”, ou quelque chose du même acabit.

Deux cents mètres après Les Voyageurs, le Café du Lac se charge d’ailleurs de nous rappeler qu’il faut se méfier des sirènes de la nostalgie, et qu’il n’est pas toujours très pertinent de se gargariser du passé : la devanture a gardé son nom mais le lac a été asséché. Le Café du Lac fait aujourd’hui face à un parking.  

Wild Tsavo

Severin Safari Camp Tsavo ©Olivier Cirendini

Au cœur du parc kenyan du Tsavo – qui fit parler de lui à la fin du XIXe siècle car ses lions avaient pris la fâcheuse habitude de dévorer les ouvriers construisant la ligne de chemin de fer entre Mombasa et le lac Victoria –, le Severin Safari Camp est une oasis de calme et de bonheur. Ici, pas de clefs. Dans chaque bungalow-tente, le voyageur trouve une torche, un recueil de textes contenant des citations de Out of Africa de Karen Blixen (« There is something about safari life that makes you forget all your sorrows and feel as if you had drunk half a bottle of champagne”) et un sifflet en cas de rencontres fortuites, lesquelles ne sont pas davantage précisées : hippopotame sous le lit ? Léopard dans la penderie ?

Ce soir, quelques gracieuses gazelles de Grant broutent devant ma terrasse et une girafe pointe le haut de son cou réticulé au-dessus des épineux. Après la tombée de la nuit, un interrupteur permet d’appeler un gardien massai armé d’un stick (il rigole lorsqu’on lui demande son utilité en cas de rencontre avec un fauve) pour aller jusqu’à la réception ou au restaurant. À l’heure du dîner, on repère un croco quelques dizaines de mètres devant le bungalow 17, au-delà du panneau stipulant de ne pas franchir ce point (dont on considère tout à coup l’utilité avec davantage de sérieux). Au matin, le saurien est statufié devant le 18.

Métro Kyotoïte

Détail du plan du metro de Kyoto © Olivier Cirendini

Le métro de Kyoto offre un voyage en soi. Déjà parce que le plan des lignes est, pour des yeux étrangers, aussi déroutant et semé de pièges que les entrailles de la pyramide de Khéops. Ensuite parce qu’on y croise en accéléré un large éventail des tribus urbaines de la capitale japonaise, incluant aussi bien des maikos en costume millénaire, des ados dont les looks semblent avoir été créés par des dessinateurs de mangas, des hommes d’affaires rigides et des jeunes femmes en jupes plissées d’écolières cultivant des airs ingénus. Le mystère japonais se déroule station après station, comme un film à la fois très contemporain et totalement hors du temps, dont on n’est pas vraiment sûr qu’il soit projeté à la bonne vitesse. Au début, on a peur d’être noyé par la foule. Mais très vite on se rassure : elle ondule, tournoie, évite avec fluidité, sans stress ni agressivité. Une foule japonaise : présente, évanescente et insaisissable.

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